Plus ça change, plus c’est pareil
par Fannie Perron
Je travaille dans le milieu de la philanthropie depuis plus de 20 ans. Et en 20 ans, il peut s’en passer des affaires. Durant toutes ces années, j’ai vu le domaine de la philanthropie se professionnaliser et évoluer. Plus récemment, la tendance est à dire que ce secteur s’est complètement transformé et a innové. J’en suis un peu perplexe.
Oui, les façons de faire pour aller chercher de l’argent sont beaucoup plus sophistiquées. On comprend mieux le donateur, son besoin, comment le rejoindre et nous avons de meilleurs outils pour y arriver. On est plus créatifs dans notre façon de se vendre pour être en compétition avec un nombre grandissant d’organismes, et nous utilisons mieux encore la communication. Mais fondamentalement, est-ce que le cadre philanthropique s’est tellement amélioré ? Est-ce qu’on peut vraiment parler de d’évolution? De modernisation?
Et quels seraient les éléments principaux sur lesquels nous devrions tous nous pencher ?
- Concentration du pouvoir : Que ce soient des philanthropes individuels ou des fondations majeures, ces instances peuvent exercer une influence considérable sur les domaines qu’ils choisissent de soutenir. Cela peut soulever des préoccupations quant à la concentration de pouvoir décisionnel à un petit nombre d’acteurs privés.
- L’approche à « court terme » : La philanthropie d’aujourd’hui continue, majoritairement, de se concentrer sur des solutions à court terme plutôt que sur des interventions structurelles à long terme. Bien qu’appréciée par les bénéficiaires pour la rapidité des retombées, est-ce que cette approche résout réellement les raisons profondes des problèmes sociaux? Est-ce que le rôle de la philanthropie moderne ne devrait pas s’attaquer aux véritables racines des enjeux plutôt que seulement pallier aux effets d’inégalités structurelles?
- Innovation sociale : On en parle, parle et reparle… L’innovation sociale, mot à la mode ou concept qu’on tente vraiment de mettre en place? Bien que la philanthropie soit un moteur fantastique pour encourager ladite innovation sociale, on voit encore en grande partie des pratiques conservatrices privilégiées où la prise de risque est plus au moins encouragée. Mais pour innover, le risque n’est-il pas un des fondements de base? L’inventeur et scientifique Edwin Herbert Land suggère « [qu’]innover, ce n’est pas avoir une nouvelle idée mais arrêter d’avoir une vieille idée ». Et si l’on se donnait la mission d’insuffler du savoir-être dans nos pratiques et d’oser la créativité? Car rappelons-nous qu’il ne s’agit pas de faire de l’innovation, mais bien d’être innovant·es.
- Biais de financement : On parle beaucoup en ce moment des salaires des dirigeant·es qui sont très élevés et cela apporte beaucoup de commentaires et de points de vue. Personnellement, je pense que le réel problème est la variabilité des revenus provenant de la philanthropie. Les causes « populaires » vont amasser plus, donc vont avoir plus de ressources pour maximiser leur performance en philanthropie, attirer les meilleurs talents, les plus grands donateurs, etc. et ce cercle ne se brise jamais. Cependant combien d’organismes qui ont une mission aussi essentielle mais qui n’ont pas réussi à générer cet « attrait » philanthropique manque d’argent, année après année? La culture philanthropique ne devrait-elle pas chercher à établir un certain équilibre?
Naturellement, ces exemples ne se veulent pas des généralisations de l’approche de tous et toutes en termes d’impact philanthropique. L’idée ici est plutôt de mettre de l’avant qu’il reste encore énormément de travail pour « transformer » la philanthropie.
Imaginons que ces éléments ne soient pas travaillés en mode collaboratif, équitable, transparent et axé sur le réel désir de repenser certains fondements de nos façons de faire et l’appel à revisiter la structure de nos schèmes de pensée… Les chances sont que nous nous retrouvions à la même place dans 20 ans. En 2044, quels legs aurons-nous transmis à la philanthropie?
L’auteur et théoricien Peter Drucker propose que « le meilleur moyen de prédire l’avenir est de le créer ». Qui est prêt·es? Nous le sommes.